Droit et justice

Le Cherche-Midi, deux prisons militaires jusqu’en 1907

Mai 2018, huitième chronique parisienne sur les prisons disparues, après Les Madelonnettes, Saint-Lazare, La Force, For l’Evêque, Sainte-Pélagie, Mazas, La Roquette, nous sommes aujourd’hui dans le 6e arrondissement.

Les lois du 29 octobre 1790 et du 10 juillet 1791 vont séparer les prisons militaires des prisons civiles. Un conseil de guerre permanent est créé dans chaque division territoriale. Le premier est installé le 22 novembre 1796, un second conseil de guerre et un conseil de révision sont établis par la loi du 9 octobre 1797. Les trois seront réunis à l’Hôtel de Ville, puis en janvier 1800 dans l’Hôtel de Toulouse, à l’angle de la rue du Cherche-Midi et de la rue du Regard.

 

Les conseils de guerre installés dans l’hôtel de Toulouse, ancien hôtel de la Comtesse de Verrue

Le 37 rue du Cherche-Midi devient l’hôtel des conseils de guerre et va accueillir la maison de justice militaire de Paris à partir de 1841.

En effet, la prison de Montaigu ouverte en 1792, était devenue le premier pénitencier militaire créé par ordonnance du 3 décembre 1832. Mais trop vétuste, elle fut remplacée à partir de 1841, et jusqu’en 1907, par la nouvelle maison de justice militaire de la rue du Cherche-Midi. les prévenus pour absences illégales, en attente de jugement, et pour des courtes peines séjourneront ainsi dans une des ailes du 37. En 1864, une visite du chef du bureau de la justice militaire aux prisonniers va souligner un manque de place, d’air et d’ateliers, car ceux-ci travaillaient dans leurs chambres.

En 1907, l’hôtel des conseils et sa prison seront détruits afin de permettre le percement du boulevard Raspail, entre la rue de Sèvres et la rue de Rennes.

Tracé du boulevard Raspail sur le plan de 1861

L’historien Jacky Tronel signale que le porche du n°37 a par la suite été installé dans le parc du château de Jeurre (Essonne). Ce porche était à l’origine celui de l’hôtel parisien de la Comtesse de Verrue qui allait devenir l’hôtel de Toulouse, puis l’adresse de la première prison installée rue du Cherche-Midi. La comtesse avait agrandi l’hôtel acquis en 1702 en achetant des maisons mitoyennes et en le transformant. Elle lui donna l’aspect quasi identique à celui qu’il avait lors de l’installation des conseils de guerre, les successeurs n’y ayant pas apporté de modifications notables.

Le 12 octobre 1822, le chef de bureau au ministère de la Guerre, Pierre, François Foucher père d’Adèle Julie Victoire Marie Foucher marie sa fille avec Victor Hugo. Après la célébration religieuse à Saint-Sulpice, le repas de noces est servi dans la salle des délibérations du conseil. Les jeunes mariés vont habiter là jusqu’en mars 1845.

Prison et Conseils de Guerre rue du Cherche-Midi

Pas une prison mais deux, face à face

De 1847 à 1851, en face au n°38, est construite la prison du Cherche-Midi, maison d’arrêt et de correction militaire. Elle a fonctionné du 30 décembre 1851 au 1er décembre 1947, puis elle est devenue simple maison d’arrêt. Sa démolition a commencé en 1961. En 1966, l’ancien résistant Pierre Cheval conseiller municipal à Créteil achètera à la société de démolition la porte qu’il cédera au Souvenir français.

Revenons sur l’histoire du 38

A partir de 1848, la prison de l’Abbaye va être abandonnée au profit du nouvel établissement qui s’élève sur l’emplacement de l’ancienne Manutention des vivres de l’armée. Cette prison alors moderne car cellulaire avait une capacité de 200 places. Les cellules de 2,50×1,75 m d’une hauteur sous plafond de 3,75m étaient éclairées à 3m de haut par une lucarne à barreaux (Tableau des prisons militaires, visite de Jérôme-Léon Vidal, 1858). Deux cours, deux préaux non couverts réunissaient d’un côté les condamnés et de l’autre les disciplinaires. Les condamnés travaillaient ensemble dans les ateliers. Des chambres étaient réservées aux officiers détenus. Les malades, si leur état le nécessitait, étaient transférés au Val-de-Grâce.

38 rue du Cherche-Midi vue sur les fenêtres des cellules

Les enfermements y sont nombreux. En 1907, les tribunaux militaires qui étaient au 37 y sont transférés.  L’entrée sera à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, au n°54.  On y séjourne pour des actes d’insoumissions ; on y trouve des objecteurs de conscience, des anarchistes, des soldats appelés ou rappelés, qui n’ont pas répondu à leur convocation. Ce sera le cas pendant la première guerre mondiale puis au début de la seconde.

Dès la dissolution du Parti communiste français en septembre 1939 y sont emprisonnés de nombreux militants. Le 10 juin 1940, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur décide l’évacuation des 2000 prisonniers du Cherche-Midi. Ils seront dirigés vers le camp de Gurs puis réunis à Mauzac (Dordogne).

La prison parisienne restée vide va être réquisitionnée par l’Occupant. Elle passe sous le commandement militaire allemand qui s’est installé au Majestic. Les Allemands détruiront leurs archives avant leur départ. De nombreux Résistants y seront emprisonnés, interrogés, torturés puis exécutés au Mont Valérien, à Ivry ou à Vincennes. Les Allemands leur succéderont à la Libération.

Quelques prisonniers célèbres :

Séance du Tribunal militaire

L’Affaire divisa les Français. Une fausse accusation en 1894, un coupable acquitté en 1898 et Emile Zola publiant « J’accuse » à la Une de l’Aurore, le 28 janvier 1898. 1899, nouveau procès de Dreyfus nouvelle condamnation suivi de la grâce présidentielle. Il sera réhabilité en 1906!

Arrêté en octobre1894, Alfred Dreyfus passe devant le conseil de guerre le 19 décembre 1894. Le 22 décembre, il est condamné à l’unanimité « à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire. » Il y sera emprisonné jusqu’au 17 janvier 1895 avant de partir à Saint-Martin-en-Ré.  Sur la liste d’écrou son numéro était 1075. La « chambre d’officier » qu’il occupe alors « se compose d’un lit de fer, d’une table de nuit en bois gris à dessus noir, de trois chaises, d’une table de bois blanc servant de table de toilette et d’une autre table sur laquelle le prisonnier prend ses repas ». (article de 1897 de Robert D’Arlon). Cette erreur judiciaire va bouleverser la vie politique française durant 12 ans. Zola publie « J’accuse », en 1898. L’innocence du militaire ne sera reconnue qu’en 1906. Il sera réintégré dans l’armée et participera à la première guerre mondiale.

1937, Le journaliste Pedro Donga publie dans le journal : « Les Hommes du Jour », d’Henri Fabre le récit d’un insoumis qui séjournera dans la cellule 1026.

juin 1940 à août 1944, le tribunal militaire allemand siège dans la prison

Thérèse Lemoine, arrêtée pour avoir participé au sauvetage de six soldats britanniques en juin 1940, elle est emprisonnée au Cherche-Midi. Le tribunal la condamne à quatre ans. Elle passera par les camps et sera libérée par les Américains en avril 1945.

Paul Langevin, enseignant au Collège de France, professeur de physique générale et expérimentale, fin octobre 1940, il est arrêté par la Gestapo pour ses idées antifascistes. Les étudiants font circuler une pétition, dès le 4 novembre, pour sa libération, suivie d’une manifestation pour le 11 novembre.

Le 11 novembre 1940, sont incarcérés des lycéens et des étudiants qui, après l’appel du 18 juin, ont organisé, sur les Champs-Elysées,une manifestation pour commémorer l’armistice de 1918. Ils se dressèrent ainsi contre l’Occupant.

 

De nombreux résistants passèrent par la prison du Cherche-Midi durant la Seconde Guerre mondiale.

Honoré d’Estienne d’Orves qui avait rejoint les forces navales libres avait mis sur pied, en 1940, le réseau Nemrod. Il est arrêté, durant la nuit du 21 au 22 janvier 1941, avec 26 membres du réseau. Ils sont enfermés au Cherche-Midi. Il sera fusillé au Mont Valérien, le 29 août.

Agnès Humbert, assistante au musée des Arts et Traditions populaires, militante antifasciste, refuse l’armistice. Arrêtée en avril 1941, elle est envoyée en camp de concentration. A la Libération, elle publie : « Notre guerre, souvenirs de Résistance. »

Jean Suret-Canale, géographe et historien. Il sera emprisonné pour activité anti-allemande. Il sera membre des FTP (Francs-Tireurs et Partisans).

Alfred Fabre-Luce, journaliste, il publie le journal « L’histoire de la France ». Il soutiendra Pétain mais s’affirmera contre le STO (Service du Travail Obligatoire). Il sera arrêté pour avoir annoncé la défaite de la Gestapo. Il fera 4 mois.

De 1944 à 1947, la maison d’arrêt passe à nouveau sous l’autorité militaire française. En 1947, elle redevient simple maison d’arrêt.

Septembre 1948, durant une semaine, l’Américain Garry Davis s’assoit devant l’entrée de la « Maison d’arrêt du Cherche-Midi ». Il proteste contre l’incarcération de l’objecteur de conscience Jean-Bernard Moreau.

Septembre 1960, une vingtaine de membres du réseau Jeanson qui soutenait le FLN algérien passe devant le tribunal militaire du boulevard Raspail.

1961, la prison devenue insalubre est fermée.

La porte du 38 rue du Cherche-Midi

Le porche du n°38 est aujourd’hui à Créteil. Mémorial de la prison du Cherche-Midi, il est installé sur l’esplanade du Souvenir. Sous l’impulsion de Pierre Cheval et du Colonel Dessailly, le Comité National du Mémorial du Cherche-Midi reconstitue l’histoire de la prison militaire afin d’établir la liste de celles et ceux qui ont été jugés et condamnés pour faits de résistance par le tribunal militaire allemand qui y siégeait durant l’occupation (1940-1944).

Le mémorial inauguré en 1982, ajoute depuis 1987, chaque année de nouveaux noms. Ils étaient 107 en 2010.

 

 

La Maison des Sciences de l’Homme

1963, construction de la Maison des Sciences de l’Homme.

2010, elle déménage avenue  de France, Paris 13e, pendant les travaux de désamiantage. Elle y restera six ans avant de retrouver son adresse historique, 54 boulevard Raspail, en 2017.

En 2002, a été lancé le programme du Cherche-Midi concernant l’histoire de l’Hôtel des conseils de guerre, de la maison de justice militaire et de la maison militaire d’arrêt et de correction.

La rue du Cherche-Midi, hier et aujourd’hui

 

Pour en savoir plus :

A lire sur le blog de Jacky Tronel de la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme à propos de l’histoire pénitentiaire et la justice militaire :

Le conseil de guerrehttp://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-prisons/la-prison-de-l%E2%80%99hotel-des-conseils-de-guerre-rue-du-cherche-midi-13619

http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-prisons/un-insoumis-ecroue-au-cherche-midi-16106

http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/recherches/la-demolition-de-lhotel-des-conseils-de-guerre-consecutive-a-louverture-du-boulevard-raspail-15955

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