Juillet 2016. Nous vous avons présenté la prison Mazas qui était face à la gare de Lyon. Pour cette seconde chronique sur les prisons disparues, nous avons choisi de vous parler de La Force dont le nom au XIXe siècle était devenu synonyne de prison.
Thénardier s’en évade dans Les misérables de Victor Hugo, Lucien de Rubempré transféré de la Force se pendra à la Conciergerie dans la Comédie Humaine de Balzac, Eugène Sue l’a décrite dans les Mystères de Paris. La Force fait figure de prison romantique bien sinistre et fatale. Les prisonniers parlent de la lorcefée ou lorcefé, lorceffe. Elle sera démolie en 1851 et permettra l’ouverture de la rue Malher. Il subsiste des pans de murs à l’arrière du bâtiment de la caserne rue de Sévigné et rue Pavée, un mur jouxte la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
L’hôtel de La Force a été construit au XVIe siècle dans un ancien palais ayant appartenu à Charles d’Anjou, frère de Saint Louis. Il passera entre différentes mains mais c’est le duc de Caumont La Force qui lui donnera son nom. L’hôtel fut partagé en deux parties. La partie abritant l’hôtel de Brienne est rachetée en 1780 par Louis XVI pour y installer une maison de détention moderne. La Grande Force puis la Petite Force vont ainsi être les deux dernières prisons ouvertes par l’ancien régime afin de répondre aux souhaits des hygiénistes. Elles laissent entrer la lumière, l’air. Les cachots sont en surface. Un revirement important dans le traitement des prisonniers, la Révolution est proche.
Rappelons que jusque là les prisonniers jugés dangereux étaient jetés et oubliés dans des culs de basse fosse insalubres. Ils y marinaient et trouvaient la mort dans une eau croupie pleine d’immondices. Pour les autres, ils étaient réunis, entassés, pêle-mêle hommes, femmes, enfants, dans des salles sans air et sans lumière. Ils dormaient sur de la paille qui rapidement se transformait en une litière nauséabonde. Seuls les gens aisés pouvaient prétendre moyennant monnaie à un certain confort et des avantages (lit, couvertures, bains, nourriture) tout en étant tenus à distance des « gens du peuple ».
La Grande et la petite Force étaient situées entre la rue du roi de Sicile, la rue Pavée, la rue Saint-Antoine, la rue Neuve Sainte- Catherine (aujourd’hui, rue des Francs-Bourgeois), et la rue Culture- Sainte-Catherine (aujourd’hui : rue de Sévigné).
Le bâtiment principal et les bâtiments attenants avec cour ont été transformés, équipés de fontaine. Le nouvel établissement va séparer les hommes et les femmes, même lors de la promenade qu’ils faisaient chacun dans leur cour respective.
La Force hébergeait les dettiers, les vagabonds, les déserteurs et les petits délinquants. On y enfermait aussi à la demande des familles. On y rencontrait des artistes qui avaient déplu. La Grande Force prison pour hommes avait accueilli en 1782 les prisonniers des prisons insalubres et vétustes de For L’Evêque et du Petit Châtelet qui venaient d’être fermées afin d’être détruites. Son entrée était 2-4 rue du roi de Sicile.
Ses différents bâtiments vont permettre de créer six quartiers pour : les employés gérant l’établissement, les défauts de paiement des nourrices, les dettiers, les détenus par ordre du Roi ou du lieutenant de police, pour les femmes et les mendiants. Les coupables y étaient désormais séparés de ceux qui étaient en attente de jugement. La cour Saint Bernard devrait recevoir le nom de « La fosse aux lions » car elle était réservée aux criminels les plus dangereux. Les enfants quant à eux étaient réunis à part.
La prison de la Petite Force sera installée dans l’hôtel de Brienne racheté par Louis XVI. Destinée aux femmes de mauvaise vie, elle va accueillir en 1785, les prisonnières et filles publiques enfermées par décisions administratives à la prison Saint-Martin, rue Pavée, qui venait de fermer. La Petite Force communiquait avec l’Hôtel de La Force par le chemin de ronde et les égouts. Son entrée était 14-22 rue Pavée.
A la Révolution, Hébert installera à la Force le tribunal révolutionnaire instigateur des massacres de septembre 1792. La prison se videra pour se remplir progressivement de voleurs, d’agitateurs, de vagabonds, de mendiants et de prostituées.
Mais l’argent fera toujours la différence. On payait encore« la pistole ». Moyennant finances on pouvait obtenir une place dans une des chambres avec cheminée. Sinon, une place attendait ceux qui étaient sans le sou dans un des grands dortoirs où les lits étaient relevés durant la journée pour faire de la place. Les prisonniers sans argent étaient également nourris et recevez le « pain du Roi ».
L’architecte Louis-Pierre Baltard fera des modifications et des aménagements dans les deux bâtiments de 1817 à 1821. Il installera une infirmerie sur deux étages, une pour les hommes et une pour les femmes, des chapelles et des commodités (bains, égouts, fosses d’aisance).
Sous la Restauration, les maladies vénériennes vont transformer la Petite Force en Hôpital.
Les enfants (moins de 16 ans) vont être dirigés vers les Madelonnettes jusqu’en 1836 puis vers la Petite Roquette nouvellement construite. En 1865 à la suite de la visite de l’impératrice, les enfants partiront pour des colonies pénitentiaires agricoles nouvellement créées.
Les bâtiments étant devenus vétustes, Rambuteau signera à son tour un programme de travaux en 1839. Mais la destruction sera votée en septembre 1840.
En 1843, 15 prisonniers de « la Fosse aux lions » armés de couteaux et de Poinçons vont réussir à rejoindre par un souterrain l’établissement voisin des Bains de la rue Sainte-Catherine (aujourd’hui rue de Sévigné). Ils ont débouchés sous le calorifère et ont gagné la rue après avoir agressé le chauffeur des Bains. Les voisins alertés ont aidé à leur capture et onze d’entre eux ont pu être rattrapés.
En 1850, les hommes seront transférés à Mazas qui sera alors surnommé la nouvelle Force. Les femmes quant à elles seront dirigées sur Saint Lazare, Bicêtre et la Salpêtrière.
Parmi ses prisonniers célèbres
On peut citer en 1791, Claude Nicolas Ledoux, l’homme à qui l’on devait les dernières barrières d’octroi et le mur avec sa zone non aedificandi qui ceinturait Paris. On dit également de c’est ce mur qui était à l’origine de la Révolution. (Voir notre livre : Paris, d’un mur à l’autre »
1792, les massacres de septembre. Hébert installe à la Grande Force son tribunal révolutionnaire. Il va juger plus de 400 détenus et ordonner plus de 160 exécutions en quelques jours. Parmi les personnes qu’il a jugé et fait exécuter : la princesse de Lamballe, amie de Marie-Antoinette. Celle-ci a d’abord été emprisonnée à la Petite Force, puis transférée à la Grande. Elle y sera massacrée sur place.
En novembre 1792, il ne restait plus que 13 détenus pour délits graves. On estime que plus de 1000 prisonniers seraient passés entre ses murs. Pour arrêter la rumeur, des chiffres vont être régulièrement fournis tout au long de l’année 1793. Ainsi en mars 1793, ils étaient 320 prisonniers ; ce chiffre oscille 354 hommes à la Grande-Force en juin contre 329 en août ; 129 femmes à la Petite-Force en juin contre 142 en août.
En octobre la prison accueille des députés. Le 9 thermidor an II, la Grande-Force abrite 79 détenus et la Petite-Force 3 détenues.
Charles de Lacretelle journaliste et historien y fera un long séjour. Il est emprisonné au lendemain du 18 fructidor (4 septembre 1797) après le coup d’état du Directoire contre les Royalistes. Il est libéré par Fouché à la veille du coup d’état de Bonaparte du 18 brumaire (9 novembre 1799).
Les membres la conspiration des poignards, dite également complot de l’Opéra qui visait l’assassinat du premier consul Napoléon Bonaparte, le 10 octobre 1800 (18 vendémiaire an IX) ont été incarcérés au Temple puis transférés à La Force.
Le général Malet, condamné pour son complot contre l’Empereur en 1812, y séjournera avant son transfert à Sainte Pélagie.
Opposé à la Restauration, Béranger lors de son second procès devant le tribunal correctionnel pour la publication de son second recueil de chansons sera condamné à 9 mois (1828-1829). Il passera ainsi pour la seconde fois la période du Carnaval et le 14 juillet et la fête de Marie, le 15 août qui lui inspira : « Le cordon s’il vous plait »,
Il y écrira « le feu du prisonnier » car il est dans une chambre avec cheminée; ainsi que « les dix mille francs », en fait il a du régler 11250 francs, ce qui suscita sa colère.
1831, Auguste Blanqui passera trois semaines à La Force.
Du côté des voleurs et assassins citons sans doute le plus célèbre des locataires de la Grande Force, le dandy Lacernaire, assassin, voleur, joueur qui voulait être célèbre et le deviendra. Il y sera emprisonné en 1833 et y écrira sa première ballade adressée au roi qui fut publiée dans la presse. Puis il sera à nouveau repris, jugé et condamné avant d’être exécuté à la barrière Saint-Jacques en 1836, non sans avoir auparavant écrit ses mémoires.
Pour compléter ces informations voici une vidéo qui vous permettra de mieux situer La Force.
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