Novembre 2016, cinquième chronique sur les prisons disparues de Paris.
Si vous cherchez où était la prison Saint-Lazare n’allez pas du côté de la gare du même nom mais gagnez le haut du faubourg Saint-Denis, vers la gare de l’Est, presque à l’angle du boulevard Magenta, avant la rue de Chabrol, dans le 10e arrondissement de Paris.
De la rue du faubourg Saint-Denis jusqu’à l’extrémité des rue d’Hauteville et de Paradis, jusqu’au mur d’octroi s’étendait les terrains de la congrégation de Saint-Lazare.
« Comme Sainte Pélagie », écrit Maxime Du Camp dans sa description de Paris jusqu’en 1870 « Saint-Lazare est une vieille maison, énorme, mais décrépite ; excellente pour un couvent, désastreuse pour une prison. »
Au XVIIe siècle on y confiait aux pères lazaristes des détenus mineurs et des jeunes en correction paternelle dépendant de leur père jusqu’à l’âge de 25 ans bien que la majorité pénale soit alors à 20 ans. L’établissement a servi de maison de force pour des religieux indélicats et a eu des détenus célèbres, voici quelques noms :
1674, Henri-Louis Loménie de Brienne interné par lettre de cachet de Louis XIV. Il y resta 18 ans payant 2000 livres de pension par an « pour avoir manqué de respect à la duchesse de Mecklembourg. »
Au XVIIIe siècle, les incarcérations vont se multiplier : des fous, des malfaiteurs et des fils de famille sont enfermés par lettre de cachet pour une pension annuelle de 600 à 1200 livres.
1784, Caron de Beaumarchais : après la première du « Mariage de Figaro », Louis XVI le fait assigner à Saint-Lazare. Il n’y restera que 3 jours. La rumeur veut qu’il ait été fustigé ce qu’il a démenti. Il est vrai que le couvent s’est rendu célèbre par le mode de correction qui y était pratiqué : la fessée, « une bonne volée de bois vert quel que soit la faute » ou l’âge du prisonnier.
En argot on l’appelle Saint-Lagu ou Saint-Lago
La prison Saint-Lazare a été à la fois un hôpital et une prison. Dès le Moyen-âge, les lépreux parisiens tenus à distance et chassés de la ville se sont réfugiés dans les ruines de l’abbaye de Saint-Laurent sur la route des rois de France qui les menait de Notre-Dame à Saint-Denis. Soignés par des frères hospitaliers, la léproserie Saint-Ladre lez-Paris (ou Saint-Lazare) est attestée en 1122 et s’enrichissait de dons et d’héritages.
Devenue maison royale et très riche, les rois s’y arrêtaient après leur couronnement à Saint-Denis. Ils y préparaient leur entrée dans Paris. Ils s’y recueillaient avant leur départ en croisades. A leur décès on leur y donnait l’absoute avant que leur dépouille soit acheminée vers la crypte royale de Saint-Denis. Le dernier roi à suivre cette voie a été Louis XV.
La maladrerie avait le privilège de haute et basse justice. Elle dépendait de l’évêque de Paris et du chapitre de Notre-Dame. L’armée de Jeanne d’Arc préparant le siège de Paris y campa en 1429.
En 1632, la maison a été cédée à la congrégation dirigée par le père Vincent l’aumônier de Marguerite de Valois afin qu’il y remette de l’ordre (Saint Vincent de Paul sera enterré dans la première chapelle). Il transforma les bâtiments en construisit d’autres dont un séminaire (1644). Il agrandit l’ensemble et le ceintura de murs.
Entre 1681 et 1684, Edme Jolly va poursuivre les travaux rue du faubourg Saint-Denis. Trois pavillons et une grande porte cochère, une cour d’entrée, des cadrans solaires ; une seconde cour plantée d’arbres, un réfectoire (200 personnes), une salle des oraisons et une salle des entretiens devenues cantine et atelier. L’aile du grand réfectoire s’agrandit de 3 étages sous Louis XVI.
Le couvent qui ne manquait pas de provisions fut attaqué en 1789 dans la nuit du 12 au 13 juillet. Dévasté, devenu bien national, plusieurs lots de terrains seront vendus. Il est transformé en prison en 1791. Il accueillera plus de 1400 détenus à partir de janvier 1794. Le domaine a, alors, été réduit au corps de prison, la ferme, le potager, les jardins et quelques immeubles en bordure.
Sous le Consulat l’établissement devient une prison pour femmes avec quelques adaptations comme la chapelle des lazaristes transformée en atelier.
Sous Charles X en 1824, des travaux conduits par Louis-Pierre Baltard sont décidés et de grands dortoirs sont installés. La chapelle des lazaristes qui avait une entrée directe sur la rue est fermée par une porte cochère sur le faubourg Saint-Denis. Puis, elle est démolie et un nouveau bâtiment va accueillir les mineures. Le mur d’enceinte surélevé est doublé d’un chemin de ronde. La nouvelle chapelle à l’intérieur de l’enceinte permettait grâce à deux entrées distinctes de chaque côté de faire entrer séparément dans chacune des galeries latérales, d’un côté les droits communs de l’autre les prostituées. La porte principale donnait sur la cour de promenade.
A partir de 1831, toutes les femmes des différentes prisons sont réunies à Saint Lazare. Prostituées malades (mises en cartes depuis 1804 ou non) et criminelles ; de très jeunes filles, ainsi que des jeunes mères de famille, des ouvrières prises dans les rafles et dont la vie se trouvait bouleversée. Comme évoqué dans ces paroles :
« Avec les méness’s (les prostituées) en troupeau/ Vous s’rez conduite à Saint-Lazare/De ces erreurs là Ah !c’que j’en ai marre, faut plus de vierges à Saint-Lazare !
C’est une ouvrière qui entre en prison/Quand ell’sort, c’est un’gigolette » (La Vierge de Saint-Lazare, d’Henry Moreau et Pierre Chagnon ; édition Lacroix ; ill. Ferran, dépôt légal 1922).
Les quartiers étaient complètement séparés à partir de 1850
A leur arrivée les Sœurs des prisons (soeurs de Marie-Joseph) vont séparer les condamnés des prostituées, créant une section judiciaire et une section administrative, ainsi qu’une section de correction pour les jeunes en correction paternelle ou familiale.
Les condamnées de droit commun jugées auront leur propre quartier dans la section judiciaire.
Pour 1868, Maxime Du Camp nous signale que « les allées et venues sont incessantes » avec 2720 entrées de prévenues et condamnées et 2859 sorties. La correction a vu entrer 232 jeunes filles et 212 sorties; les prostituées ont été 4831 à entrer et 4719 à en sortir auxquelles s’ajoutent 200 recluses malades. A fin décembre, les présentes étaient au nombre de 1026. On connait le coût d’une détenue à cette époque, entre 79 et 89 centimes à Saint-Lazare comme à Sainte-Pélagie ou au dépôt des condamnés ; Un détenu coûte un peu plus de 92 centimes à Mazas et dépasse 1 francs 70 centimes à la Petite Roquette.
Ainsi à droite on trouvait le quartier judiciaire, la 1ère section accueillant les prévenues et femmes jugées, la ménagerie (un ensemble de 28 cellules individuelles sur deux niveaux), le quartier des nourrices, les cachots et une infirmerie dite normale, des chambres de 3 à 11 lits. Des chambres étaient réservées à celles qui pouvaient payer leur confort: « la Pistole ». Cette prison a été la dernière à pratiquer cette distinction financière supprimée à la Révolution. Les « aristocrates » de la prison payaient 7f50 par mois pour leur chambre.
A gauche, le quartier dit administratif abritait la section des mœurs dotée de sa propre infirmerie qui accueillait les prostituées atteintes de maladies vénériennes, elle était équipée de bains et le sera aussi de douches. Des cellules dites de punition avaient été prévues et de grands dortoirs bouclés le soir mais sans grande surveillance pouvaient réunir jusqu’à 90 lits.
Chaque section avait ses paniers à salade qui venaient du Dépôt : marrons pour les droits communs et jaunes pour les mœurs. Dès leur arrivée, les prisonnières quittaient leurs vêtements pour revêtir leur tenue en droguet rayé noir et bleu avec un fichu d’indienne croisé sur la poitrine et un bonnet blanc ou brun selon la section ainsi que des sabots.
Lever 6h ou 6h30 et à 5h aux beaux jours du 1er mai au 30 septembre. Le régime étant commun, le travail était prévu et réparti dans 7 ateliers. Les promenades ici comme dans les autres prisons se faisaient après les repas dans chacune des cours.
Les prisonnières travaillent, cousent, confectionnent du linge de maison, des costumes pour les prisonniers, des chemises « les liquettes » ou fabriquent des matelas qui équipent les prisons et sont également vendus aux grand magasins. Elles cardent et entretiennent les matelas et le linge des prisons. Les prisonnières vont ainsi alimenter la lingerie générale des prisons, car Saint-Lazare abrite les magasins généraux des prisons. La Boulangerie des prisons de la Seine est également à Saint-Lazare. Elle est équipée de 3 fours assurant 7 fournées par jour de 210 pains, ainsi qu’une production de pains spéciaux. Son plus gros client sera Mazas qui ouvre en 1850.
1871, la prison sera occupée par les Fédérés.
Saint-Lazare en chansons
L’auteur des Goualantes de La Villette et d’ailleurs, raconte la vie des prostituées du « Sébasto » vers 1885. Des mineurs non mises en carte, l’après-midi rue Turbigo, Saint-Denis, Réaumur sont prises dans des rafles, et conduites du dépôt à Saint-Lazare où elles passent une visite médicale. Les malades y séjourneront les autres y resteront de quatre à quinze jours. Attention, d’autres mineures y séjournaient en correction paternelle, en principe isolées de ces prévenues, si les parents payaient une pension.
« D’quart les fait monter tour à tour /Dans l’panier qui dessert la Tour,/ Su’l’rade
Puis d’la Tour à Saint-Lagu’bien vite/ On mèn’ cel’s en r’tard de visite/su’l’rade » (Su’l’rade 1894, dans les Goualantes .)
« Bien souvent, messieurs les agents,/Sans crier gare, / Leur donn’nt gratis de chics log’ments ;/ à Saint-Lazare/»
(cette chanson La Valse des Pierreuses, fait référence aux prostituées des barrières, exerçant souvent sur les fortifications. Répertoire parisien, 17 passage de l’Industrie ; ill. G. Gaget, paroles et musique : Victor Thiels)
Aristide Bruant (né Bruand) dans sa chanson « A Saint lazare » (Paris, 1886), donne la parole à l’une d’entre elles :
« C’est de d’la prison que j’t’écris/ Mon pauv’ Polyte, Hier je n’sais pas c’qui m’a pris / à la visite ; c’est des maladi’s qui s’voient pas, /Quand ça se déclare,/ n’empêche qu’aujourdhui j’suis dans l’tas,/A Saint-Lazare ! » Le séjour prévu dans ce cas est au minimum de 3 mois avant la guérison, elle subisse ensuite leur peine comme les autres prévenues.
S’y retrouvent ainsi Marie les petits Châsses, Nini Chie dans le Pot, Louise la grêlée, la Mascotte, Louise Régnier qui écrit des chansons ou encore Rosalie de la Villette, Berthe de l’Hôtel de Ville, Jeanne de la Courtille, Blanche la Mantille, Marie la Blonde…
A partir de décembre 1896, il n’y aura plus de mineures prévenues dans la première section. La réorganisation des prisons laisse à Saint-Lazare la charge de la lingerie générale des prisons mais la production a été transférée à Nanterre. Pour la 2e section, les choses sont différentes, car les jeunes prostituées malades séjourneront toujours à Saint-Lazare.
Le 21 décembre 1927, un projet détruisant le quartier judiciaire est adopté, c’est-à-dire la partie comprise entre l’actuelle chapelle et le faubourg Saint-Denis va être vendue et un square de 3000 mètres carrés va être aménagé. Les femmes prévenues seront alors dirigées vers la Petite Roquette, les hommes de la Petite Roquette envoyés à Fresnes. Des locaux neufs étaient prévus pour le quartier des mœurs, et la chapelle y retrouvera une seconde jeunesse. La prison fermera en juillet 1932.
Une fois la prison détruite et réaménagée entre 1933 et 1940, les bâtiments restant (y compris la chapelle) deviendront la Maison de santé Saint-Lazare spécialisée dans les maladies vénériennes, département de Lariboisière. En 1975 le service réservé aux prostituées sera fermé. L’hôpital ferme définitivement en 1998. Le carré historique du Clos Saint-Lazare abrite depuis 2015 la Médiathèque Françoise Sagan.
Quelques prisonniers et prisonnières
8 décembre 1793, le Marquis de Sade : est emprisonné aux Madelonnettes comme suspect après un discours anticlérical et en Janvier 1794, il est transféré aux Carmes puis à Saint-Lazare. En mars, il est transféré dans une maison de santé à Picpus. 26 juillet 8 thermidor, Fouquet-Tinville le condamne à mort. Il échappe à l’exécution car on le cherche et ne le trouve pas à Saint-Lazare. La chute de Robespierre lui permet d’échapper à la guillotine. Il quitte Picpus le 15 octobre.
Mars 1794, André Chénier va y composer à la veille de son exécution,-il sera guillotiné le 25 juillet-, le poème « La Jeune Captive » dédié à Mlle Aimée de Coigny qui elle sauvera sa tête.
Parmi ses prisonnières la Limouzin, La Mérelli, ou une certaine Mme Carrara meurtrière qui se fit sage femme à l’heure où son mari était exécuté dont on a oublié le sort, mais aussi pour les plus connues :
Louise Michel la communarde, incarcérée en 1883 pour « incitation au pillage » de trois boulangeries à la suite d’une manifestation pour les sans-travail.
Gabrielle Bompard, associée dans l’affaire de la malle sanglante de Gouffé. Elle restera à Saint-Lazare de 1890 jusqu’en 1903 année de sa sortie. Elle fut défendue par Maître Henri-Robert.
La célèbre Thérèse Humbert défendue par Maître Fernand Labori dans l’histoire de l’héritage Crawford, en 1903. La plus grande escroquerie du début du siècle.
L’étonnante Chicago May, May Duignan qui participa au casse de l’American Express en 1903.
Jeanne Weber, l’ogresse de la Goutte d’Or, défendue par Maître Henri Robert en 1906.
« la dernière connaissance » de Félix Faure Marguerite Steinheil défendue par Maître Aubin en 1908.
L’empoisonneuse Marie Bourette défendue par Maître Henri Robert en 1909.
Henriette Caillaux, la femme de Joseph Caillaux qui tua le directeur du Figaro Gaston Calmette en 1914 défendue par Maître Fernand Labori.
Mata-Hari arrêtée le 13 février, jugée, défendue par Maître Clunet. Elle est exécutée le 15 octobre 1917. Sœur Léonide de Saint-Lazare l’a accompagnée jusqu’à Vincennes.
A propos de Sœur Léonide qui y travailla pendant cinquante ans. Jean Marais assistant du photographe Henri Manuel était venu pour la photographier car elle venait de recevoir la légion d’honneur. Il se verra refuser l’entrée, et découvrit que sa mère cleptomane y était détenue pour vol à l’étalage.
Germaine Berton l’anarchiste qui a tué Marius Plateau « camelot du roi » en 1923 et que son avocat Maître Henry Torres fera acquitter.
La banquière Marthe Hanau a fait lors de son premier séjour en 1928 à Saint Lazare, la grève de la faim. Elle s’en est évadée et sera libérée sous caution. Son grand procès aura lieu en 1934. Elle sera incarcérée à Fresnes où elle est morte.
Francis Carco avait rencontré lors de sa visite à Saint-Lazare, Mme Bessarabo. Marie-Louise Weissmann Groués qui avait assassiné son second mari et peut-être le premier. Emprisonnée en 1920 son procès aura lieu en 1922. Tante paternelle de l’Abbé Pierre, elle sera défendue par Maître Vincent de Moro Giafferi et condamné à 20 ans.
Pour en savoir plus :
Maxime du Camp : Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie (1875)
Géo Bonneron : Les prisons de Paris, notre régime pénitentiaire (1898)
Emile Chautard : Goualantes de la Villette et d’ailleurs, l’auteur était ouvrier typographe de la société d’histoire de Paris et de l’Ile de France ; préface de Jean Dubray, dessins de Maurice Berdon et de Serge (Marcel Seheur imprimeur-éditeur, 10 rue Tourlaque, Paris 18e, 1929, tirage à 200 ex dont 50 numérotés sur vergé de Hollande)
Jean Robiquet : Les vieux hôpitaux parisiens : Saint-Lazare (1938)
Agnès Chauvin : La chapelle de l’ancien hôpital Saint-Lazare, In Situ [En ligne], 11 | 2009, mis en ligne le 18 avril 2012, URL : http://insitu.revues.org/4578 ; DOI : 10.4000/insitu.4578
Jean Marais : Histoire de ma vie (Paris, Albin Michel, 1975)
Catalogue : L’impossible photographie, prison parisienne 1851-2010, l’exposition présentée au Musée Carnavalet- Histoire de Paris, du 10 février au 4 juillet 2010, Paris-Musées.
Emmanuel Pierrat : Les Femmes et la Justice, les avocates, les magistrates et les accusées passent à la barre, (Paris, Editions de la Martinière, 2016), une exposition au Musée du Barreau de Paris, jusqu’au 28 février 2017, accompagne la sortie du livre. Vous y retrouverez Jeanne Weber, Thérèse Humbert, Henriette Caillaux…
coco
Comment posted on 11-12-2016très bien