Histoire

Bon Marché, BHV, Samaritaine, Printemps, Galeries Lafayette, une aventure commerciale qui continue

Paris 1880, « Avec sa petite tête d’oiseau, la fille d’Eve entre dans cet enfer de la coquetterie comme une souris dans la ratière » Un combat se livre  dans sa petite cervelle car le commis l’excite à contempler encore et encore… Elle tombe de Charybde en Scylla. Venue pour acheter un objet déterminé, elle part avec un autre et se sont les maris qui paient : donc augmentation des dépenses dans le ménage, les femmes dépensent 10 fois plus en payant dix fois meilleur marché, dit le tentateur. » Voici les propos d’un mari, vivement contrarié, à l’heure où les femmes totalement dépendantes de leurs époux osent prendre quelques libertés en se rendant seules dans les grands magasins.

Les Grands Magasins de nouveautés – A la Paix, ouverts en 1869, ont inspiré Emile Zola pour son roman, Au Bonheur des Dames

Les grands magasins et avant eux les magasins de nouveautés ont été  « La conquête de la femme,  la Révolution du commerce parisien, L’immense magasin a remplacé la petite boutique, tout est réuni, groupé dans le bazar. L’acheteur y trouve sans en sortir les mille objets qui lui font envie et ceux qui lui sont nécessaires… »

Un espace de repos, des boissons offertes, les dames y trouvaient un lieu de convivialité (A la place Clichy. NYPL/digital collections)
Un calicot tente de séduire une acheteuse (ill. Baric)

Le déclencheur a été, en 1791, la loi Le Chapelier qui abolit les corporations, permet aux magasins de nouveautés d’élargir leur offre et d’embaucher sans contrainte car elle interdit tout groupement professionnel ou ouvrier. Les magasins vont se multiplier, embaucher et pousser leurs murs.

Les Grands Magasins de la place Clichy, créés en 1877, étaient fréquentés par Jeanne Zola. La femme de l’écrivain habitait à proximité au 21 bis, rue de Bruxelles. Paul Arcand rapportait de ses voyages des objets et des tapis qu’ils faisaient fabriquer sur place. (NYPL/digital collections)

Succédant aux anciennes boutiques de merciers, commerçants de produits de luxe, de décoration, d’art venant de l’étranger  les « marchands de tout, faiseurs de rien » vont grandir.

A l’initiative du Duc d’Orléans, le commerce des nouveautés s’est installé dans les galeries du Palais Royal, avant la Révolution. De 1781 à 1786 y sont construites les Galeries de Bois ancêtres des galeries et des passages parisiens.
La campagne d’Egypte de Bonaparte, en 1798, insuffle une tendance bazar aux magasins de nouveautés, des galeries et passages. Le passage du Caire est le premier à ouvrir cette année là.
Au sein des merciers, la mercerie répondait aux besoins en fournitures des maîtresses de maison, cousettes, couturières et tailleurs travaillant à la main avant que soit inventée la machine à coudre de Barthélémy Thimonnier que La Belle Jardinière. va savoir utiliser dès 1830.

Pygmalion ouvre rue Saint Denis en 1793. Il devra céder des terrains au moment du prolongement de la rue de Rivoli. Il occupera ainsi l’angle Saint Denis-Rivoli-Boulevard de Sébastopol.

La  gamme des marchandises s’élargit, se diversifie et la fabrication devient donc possible. La barrière des corporations est abolie. L’embauche se fait sans contrat, sans garantie pour les employés. Ainsi, à la suite d’une grève en 1869, le grand magasin Pygmalion (ouvert depuis 1793), fait face mais «  à la demande des clientes »,  il continuera à ouvrir le dimanche et les jours fériés, et embauchera 150 personnes. 

Le client peut enfin toucher les marchandises, entrer sans obligation d’achat, les prix s’affichent. Les locaux sont de plus en plus grands, gagnent les étages, on pousse les murs d’un immeuble à l’autre. Le Tapis Rouge ouvert 67, rue du faubourg Saint-Martin, en 1784, s’est agrandi vers le n° 69. Après son incendie lors de la Commune en 1871, la réouverture, l’année suivante, se fait avec deux entrées, 52 rue du Château d’eau et 65-67 rue du faubourg Saint-Martin.

Dès 1877, les Grands Magasins du Louvre ouvrent sur la nouvelle place du Palais Royal. Ici, La façade célèbre les fêtes de la Victoire de 1919.

Les journées de 1848 ont entraîné de nombreuses faillites. Un nouvel élan va être offert aux grands magasins sous le Second Empire (1852-1870). Napoléon III a confié au baron Haussmann la transformation de Paris. Les frères Péreire financent, côté immobilier : la rue de Rivoli, le quartier de l’Opéra, le Grand Hôtel du Louvre (aujourd’hui groupe Hyatt), les Grands Magasins du Louvre ouverts pour l’Exposition Universelle de 1855.

L’architecte Gabriel Davioud assure les relevés pour les expulsions sur le tracé de la rue de Rivoli. Il construira en 1866 les Magasins Réunis République. Le réaménagement de la place du Château d’eau (place de la République, en 1879) comprenait la caserne Vérine et le dégagement de la place avec au Nord un grand hôtel et la construction des Magasins Réunis. Ceux-ci seront rachetés et transformés par la famille Corbin. Les Corbin de Nancy avaient donné naissance, en 1890, aux Magasins Réunis de Nancy. depuis le chef lieu de la Meurthe, ils avaient essaimé vers d’autres villes du Grand Est. Ils se sont ensuite tournés vers Paris, avec le Grand Bazar de la rue de Rennes, qui deviendra les Grands Magasins Réunis Montparnasse où la première Fnac livres s’est installée. Ils ont aussi repris l’Economie ménagère, devenue Magasins Réunis Etoile qui est, aujourd’hui, la Fnac des Ternes.

La première entrée du Bazar Napoléon qui après l’Empire devient le Bazar de l’Hôtel de Ville avait son entrée rue des Archives.

A partir de 1900, le métro devient un bel atout. La ligne 1 dessert Les Grands Magasins du Louvre entre Palais Royal et Louvre ainsi que le BHV à Hôtel de VillePour Le Printemps qui a ouvert non loin de la gare Saint Lazare, avec la ligne 3 on descend à la station Havre-Caumartin, en 1904, ainsi qu’à la station Rue Saint-Denis, aujourd’hui Réaumur Sébastopol, pour aller aux Grands Magasins A Réaumur

Marchandises et invendus, crédit et protection sociale                                               

Chez Crespin-Dufayet le crédit, sous forme de bons, est anonyme.

La vente à la tête du client n’a plus court. Les magasins de nouveautés proposent une multitude d’articles à prix fixe. Leur nombre augmente le risque d’invendus. La diminution de la marge implique de vendre en quantité, à petit prix et va justifier la mise en place de périodes de promotion, de remises, de soldes afin de fournir de la trésorerie pour de nouveaux achats. Tous les magasins grands et petits auront des périodes de soldes, afficheront des promotions calquant sur les plus grands qui feront des annonces dans la presse. Une première réglementation de la vente au déballage sera appliquée en 1906. Le Printemps dans les années 1950, proposera le remboursement de l’article vendu ailleurs à un prix plus bas.

Les Galeries Lafayette qui ont ouvert en 1894 se doteront d’une vingtaine d’ascenseurs.

Au XIXe siècle ces magasins deviennent des lieux d’évasion, de promenade, de découvertes et de divertissements. Leurs installations vont de pair avec les évolutions techniques, ascenseurs, escaliers et trottoirs roulants, chauffage, électricité, avec de nombreux services et ateliers techniques en interne, entretien, fabrication, expédition, livraisons, imprimerie, expédition, atelier de photographie, crédit…  

Les voitures sont prêtes pour les livraisons du Bon Marché

La cliente est la première ciblée, chouchoutée. On lui propose des animations, une garderie, un buffet gratuit, une salle de repos, de lecture,  la confection de vêtements, du prêt à porter, des catalogues selon les saisons, de la vente par correspondance, des facilités de paiement, des soldes, des invitations. La livraison à domicile est vite adoptée. Elle évite aux dames de se promener dans les rues et de prendre les transports avec leurs paquets, à l’heure où les robes longues doivent être soulevées pour éviter de les salir et que les omnibus offrent peu de places assises. Les grands magasins ont leurs propres service de livraison leurs chevaux et leurs voitures.  

Des catalogues qui voyagent (NYPL/digital collections)

La vente par correspondance en est à ses débuts. Les premiers catalogues s’adressent à une clientèle parisienne puis provinciale et bientôt les catalogues vont partir à l’étranger et vers la France des colonies de 1830 à 1939. Les grands magasins vont participer aux différentes expositions internationales ce qui leur permettra grâce à l’envoi de leurs catalogues de se faire connaître au-delà des océans et de garder un lien avec ceux qui sont au-delà des mers. A noter, La salon international des arts décoratifs de 1925 qui réunira les ateliers d’art de quatre Grands Magasins Parisiens qui auront chacun leur pavillon, la Maîtrise des Galeries Lafayette, Primavera du Printemps, Pomone du Bon Marché et les Magasins du Louvre. La Samaritaine de luxe, ouverte en 1917, expose en 1925 la collection d’Ernest Cognacq, boulevard des Capucines.

Il faut séduire les enfants, ici chromo des Grands Magasins du Louvre
Le théâtre pour les enfants, Au Bon Marché

On y séduit les enfants en leur offrant des chromos, ces petites images lithographiées en couleurs. Noël est un moment privilégié pour la vente de jouets. Les Grands Magasins du Louvre seront les premiers à mettre un immense sapin dans leur Hall. Toutes l’année, ils offrent, aux enfants des ballons blancs sur lesquels est imprimé un motif d’oiseau en couleur. Le circuit d’air est installé en sous-sol. Il occupe, sur place, une équipe de 10 personnes qui assure la signalétique, la décoration et gonfle de 1000 à 25000 ballons par jour qui remontent ensuite vers les rayons. 1909, Le Bon Marché lance les vitrines animées. Depuis, les vitrines de Noël des Galeries Lafayette semblent tenir la position de tête.

Parallèlement à leur démarche sociale, ces gestionnaires proposent chacun une offre de crédit personnalisé à leurs clientes. Ici celle du Printemps

Au XIXe siècle la gestion du personnel est paternaliste. Les jeunes vendeurs et vendeuses arrivant souvent de province sont logés, nourris, blanchis et ne perçoivent alors pas de salaire. Un système d’intéressement est mis en place d’un magasin à l’autre et selon les postes occupés. Des services sociaux vont progressivement se développer, la famille Boucicaut (Bon Marché) a signé un règlement « d’institution philanthropique » qui  inspirera la famille Cognacq-Jay (Samaritaine).  De même, Xavier Ruel (BHV) a ouvert un restaurant coopératif rue de la Verrerie et Jules Jaluzot (Le Printemps) gérait une caisse de prévoyance des dames et des demoiselles du Commerce. 

Quel sera l’avenir de ces cathédrales du commerce parisien au XXIe siècle ?

Septembre 2020, le groupe Printemps géré par le fonds quatari Disa, annonce la nomination de Jean-Marc Bellaïche à sa présidence. 

Pour 2021, on nous annonce  l’ouverture d’une nouvelle Samaritaine « Temple du shopping chic ».

En 2023, verra-t-on la fondation Cartier dans les anciens locaux des Grands Magasins du Louvre, occupés par le Louvre des Antiquaires depuis 1978, rue de Rivoli et place du Palais Royal?

Pour en savoir davantage :


Au Bonheur des Dames, d’Emile Zola ; premier texte publié dans la revue Gil Blas, le 17 décembre 1882 ; Ou, l’édition d’Henri Mitterand, préfacée par Jeanne Gaillard, pour Gallimard,  Folio édition, 1980
Les Grands Bazars, de  Pierre Louis Giffard, 1882
Les magasins de nouveautés, de Paul Jarry, 1948
Le commerce des objets d’art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle, de Pierre Verlet dans la revue Annales, 13/1 pp. 10-29
Les cathédrales du commerce parisien, Grands Magasins et enseignes, sous la direction de Béatrice de Andia et  Caroline François, Action artistique de la Ville de Paris, 2006
Les Grands Magasins parisiens, de Philippe Verheyde, Balland, 2012
La Samaritaine, sous la direction de Jean-François Cabestan et de Hubert Lempereur, Picard, 2015
L’autre Louvre, société du Louvre 1855-1939, Thèse de doctorat en  histoire  moderne et contemporaine, Michèle Guigo, thèse soutenue en décembre 2019, La Sorbonne

Petit tour d’horizon au fil du temps avec la vidéo qui suit

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