Droit et justice

Animaux, espaces naturels, robots, des personnalités juridiques en devenir ?

Créé sous l’impulsion de Me Emmanuel Pierrat, la Grande Bibliothèque du Droit (la GBD) fêtait ses 4 ans.

16 mai 2018. Pour le quatrième anniversaire de la Grande Bibliothèque du Droit (la GBD), l’ordre des avocats de Paris a choisi de proposer une table ronde sur les nouvelles personnalités juridiques. Voici quelques extraits de ces interventions, après les précisions suivantes.

« Les contours de la personnalité juridique, réservée jusqu’à présent aux seules personnes physiques et morales, semblent devoir évoluer durant les prochaines années.

En effet, les mutations de nos sociétés, la prise de conscience de la protection de la nature et des espèces comme du développement de l’intelligence artificielle sont des défis tant philosophiques que juridiques. »

Didier Guével, Doyen honoraire de l’Université Paris 13

En introduction, Didier Guével, Doyen honoraire de l’Université Paris 13, nous a rappelé que l’homme, dès le droit romain, est au sommet de la pyramide. Faut-il allonger la liste des personnes juridiques ? Le lombric composte y-a-t-il droit ? Les Nations Unies ont reconnu le droit de la terre mère, la sensibilité de l’animal, la valeur intrinsèque de plantes. Il est certain que la personne juridique n’est pas monolithique. Il ne s’agit plus de personne mais d’être humain… En fait nous sommes confrontés « à la pauvreté de notre vocabulaire et à un manque d’imagination… dans le rapport spécifique avec les objets, entre les personnes et les choses, dans un monde où les hommes se robotisent où on peut cloner, insérer des germes de plantes dans le corps… Nous sommes face à deux enjeux majeurs, le sauvetage de la vie et l’apparition d’un monde artificielle. »

Le modérateur Philippe Dupichot (Paris 1 Panthéon Sorbonne- Association Henri Capitant- Cabinet Gide), a mis en place la première partie de la table ronde sur les animaux et les espaces naturels.

De gauche à droite, Thierry Revet, Marie-Bénédicte Desvallon, Philippe Dupichot, Alexandre Moustardier

Marie-Bénédicte Desvallon responsable du groupe de travail d’avocats dédié à l’élaboration d’un code autonome des droits de l’animal et d’un statut juridique a ouvert le débat. En janvier 2015, l’assemblée nationale a voté la modernisation du droit concernant les animaux domestiques. L’animal est désormais reconnu comme un « être vivant doué de sensibilité » dans le Code civil (nouvel article 515-14) il n’est plus considéré comme un bien meuble (article 528). Il n’est plus défini par sa valeur marchande et patrimoniale mais par sa valeur intrinsèque. L’orang-outan Sandra né en captivité à Buenos Aires avait obtenu en 2014 le statut de personne non-humaine, elle avait ainsi droit à plus de liberté et plus près de nous un zoo aux Pays Bas a obtenu le statut de « sujet de droit » pour un de ses grands singes. Un parallèle était alors évoqué entre l’esclavage et le statut de la femme avant 1938, impliquant donc qu’on protège l’animal de l’homme en l’humanisant.

Les débats sur le statut des animaux ont pris de la hauteur et soulèvent toujours beaucoup d’interrogations.

Pour Thierry Revet (Paris 1 Sorbonne Panthéon)  « On a forgé un instrument dont on use et on abuse. Sous couvert de protéger l’animal on en fait un humain. Cette démarche est orientée vers l’action juridique. Les animaux ne sont pas dans cette problématique. A quoi cela sert-il de les doter d’un instrument dont ils n’ont que faire, la personne juridique afin d’ester en justice ? » On multiplie les obligations, dans une méconnaissance des devoirs. On a créé des droits subjectifs…

Alexandre Moustardier (Atmos Avocats) a souligné que cela devenait encore plus compliqué pour l’environnement. Certains sites sont déjà des personnes morales. Des associations, des groupes religieux vont en justice pour défendre leur terre, forêt, cascade, fleuve, considérés comme des entités vivantes et pour les protéger. En Inde, c’est le cas du fleuve sacré Le Gange. « Mais on ne peut toujours pas le rendre responsable lors d’inondation ? » soulignait avec humour l’intervenant. Le fleuve a donc des droits mais pas d’obligations car il ne pourrait pas justifier de ses actions devant un tribunal. Cependant les préjudices écologiques sont de plus en plus encadrés.

Philippe Dupichot a ensuite réuni trois intervenants pour traiter de la Révolution des robots et l’intelligence artificielle éthique.

de gauche à droite, Mady Delvaux, Philippe Dupichot, Alain Bensoussan, Laurent Garnet

Il nous a téléporté dans le futur de manière immédiate avec Mady Delvaux, députée du parlement européen, membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Vice-présidente de la commission des affaires juridiques au cœur des débats européens sur ces questions, elle a mis en évidence plusieurs points liés aux activités des robots.

Des débats suivis pas à pas. Une partie de l’audience démontre que le papier n’est pas encore totalement abandonné.

Tout d’abord, la sureté et la sécurité car la protection des données pose la question de celui ou de celle qui en détient la responsabilité ; d’où la nécessité d’une charte éthique pour les concepteurs-utilisateurs afin de connaître les capacités et les limites de ces nouveaux assistants. L’intelligence artificielle transforme notre quotidien, elle va faire disparaître des métiers et en créer de nouveaux ce qui implique de se former tout au long de sa vie. Quant à la responsabilité, elle incombe selon les cas au concepteur, au constructeur, au producteur mais aussi à l’utilisateur si les mises à jour ne sont pas faites : « Est-ce que le droit permet d’indemniser la victime d’un robot ? Le robot est-il coupable ? Une chose est certaine la responsabilité doit toujours être imputable à un humain. Il est donc recommandé d’étudier la pertinence de créer une personnalité juridique pour un robot. Un robot n’est pas une personne et n’est pas un être sensible. »

Me Bensoussan interrogeant « Eva » sous l’oeil perplexe de son voisin.

Pour Alain Bensoussan (Lexing Alain Bensoussan Avocats) « Le robot offre des solutions opérationnelles… le cerveau humain est surpassé ». Google peut d’ores et déjà fournir une aide personnalisée pointue. Ainsi via son e-phone, son assistante personnelle Eva a fourni des définitions liées à la personnalité juridique. L’assistance était vivement impressionnée face à cette intelligence artificielle de plus en plus puissante qui agit au quotidien de manière professionnelle dans des domaines comme le diagnostique médical ou le pilotage d’avion, de manière ludique avec les  jeux en ligne, tout en anticipant et en accompagnant nos recherches personnelles. « Nous somme au jurassique de la vie artificielle. Nous avons trop attendu. Les robots dépendront-ils de la justice humaine ou de celle des robots.  Il nous faut dès aujourd’hui  réfléchir à ses algorithmes pour étudier les risques de récidives »

Laurent Garnet (Flichy Grangé Avocats) a abordé la question du droit social. Les robots ne seront pas toujours des machines, ils deviendront bientôt des humanoïdes. Va-t-on leur appliquer le droit du travail qui protège le corps et l’esprit avec le repos dominical, la protection contre le harcèlement, contre la chaleur ? « Un droit du robot travailleur n’a pas de sens. Quelle sera l’ampleur du remplacement de l’homme par le robot. Comment la société peut-elle gérer la disparition du travail ? »

Philippe Dupichot soulignait : « ne sommes nous pas en train de faire la courte échelle aux robots qui vont nous remplacer. » car avec tous ces nouveaux outils à notre disposition, on constate une perte de mémoire, de concentration. Pour Mady Delvaux « ça ne sert à rien d’arrêter la technologie. Il y aura des compétences dont nous n’aurons plus besoin. »

Une audience interrogative manifestant quelques inquiétudes.

Dans l’assistance la question était posée « Ne sommes nous pas en retard sur la façon dont nous allons cohabiter »

«  Les robots autonomes nous n’en sommes pas encore là, » indiquait Mady Delvaux. Et pourtant, la reconnaissance vocale est en place et les voitures sans chauffeur seront bien là à l’horizon 2025-2030.

Me Emmanuel Pierrat qui avait introduit ces tables rondes de conclure que pour les animaux, l’environnement et les robots les enjeux sont très différents. « Face à la volonté d’un chien, d’un fleuve, d’un robot, nous conservons une supériorité dans notre volontarisme. » Demain un robot pourrait s’affranchir de la programmation, la science-fiction nous y a préparé.

A suivre en vidéo quelques images de cette table-ronde
et
l’audition contradictoire sur l’intelligence artificielle, le 4 juin 2018, au Musée du Barreau

Images de la table-ronde :

L’intelligence artificielle :

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