Droit et justice

La prison Mazas : l’Hôtel des 1200 couverts au XIXe siècle

Paris a abrité de nombreuses prisons avant que celles-ci ne soient repoussées au-delà des limites de la capitale. Nous avons ainsi choisi de vous présenter quelques unes de ces prisons disparues.

Quartier des quinze-vingts en 1869. Notez la forme bien particulière de la maison d'arrêt Mazas.

Quartier des quinze-vingts en 1869. Notez la forme bien particulière de la maison d’arrêt Mazas, en forme « d’éventail » évoquée par Maxime Du Camp et  Victor Hugo.

Voici pour commencer Mazas. Bâtie au milieu du XIXe siècle, elle a été considérée comme la plus moderne car elle évitait la promiscuité, puis rapidement comme la plus inhumaine à cause de cet isolement total. Les prisonniers sont seuls dans leurs cellules de jour comme de nuit. Ainsi, elle a reçu le surnom de l’Hôtel des 1200 couverts! Les prisonniers entre eux parlent de Taze.

La prison est construite sur des terrains vagues du quartier des quinze- vingt achetés pour 937.000 francs. La prison est construite entre l'embarcadère ferroviaire de Lyon, sans cesse transformé, la place de la colonne de juillet et le bassin de l'Arsenal. Sa construction coûtera 4,5 millions de francs.

La prison a été construite sur des terrains vagues du quartier des quinze- vingts achetés pour 937.000 francs. Entre l’embarcadère ferroviaire de Lyon sans cesse transformé, la place de la colonne de juillet et le bassin de l’Arsenal. Sa construction coûtera 4,5 millions de francs. Parallèlement seront ouverts le boulevard Mazas devenu Diderot et la rue de Lyon.

Où était Mazas ? La prison faisait face à l’embarcadère ferroviaire qui allait devenir en 1900 la gare de Lyon telle que nous la connaissons. Alors, afin de rendre la perspective plus attractive pour les visiteurs de l’exposition universelle de 1900, des immeubles ont été construits, là où s’étendait sur 32 000m2 la maison d’arrêt cellulaire.

Les mêmes immeubles en 2016

Les immeubles de 1900 sont toujours là en 2016

Les couloirs de Mazas

Les couloirs de Mazas, on distingue les trois niveaux, soit 200 cellules d’une des 6 divisions. Chaque prévenu part au pas de course à la promenade de manière à être sur qu’il ne puisse pas enjamber le garde-fou, mais aussi parce qu’il se promène seul et qu’il faut un temps de promenade pour chacun.

La prison de Mazas construite à partir de 1845 par les architectes Jean-François Joseph Lecointe et Emile Gilbert a, donc été inaugurée le 19 mai 1850. Elle accueille à son ouverture 841 prisonniers venant de la prison de la Force dans le Marais démolie pour insalubrité et vétusté. Paris se transforme. Un vent d’humanité semble vouloir souffler sur ces lieux d’emprisonnement. On dit même que la nuit les 70 gardiens, d’anciens militaires, s’y déplacent en chaussons pour ne pas réveiller leurs pensionnaires (cf Maxime Du Camp : Paris dans ses organes, 1875). Cependant Jules Vallès emprisonné pour la tentative d’assassinat de l’empereur, le complot de l’hippodrome et de l’Opéra comique, du 16 juillet au 30 août 1853 (cf Le tableau de Paris) souligne : «  Le système nouveau met l’homme et son âme à nu. La clarté que lui ont envoyé par les lucarnes, les humanitaires, devient l’ennemie de sa dignité et la complicité des mouchards. » Les murs laissent passer le bruit, alors le silence est de rigueur. Les prisonniers échangent en argot.

Le chemin de ronde

Le chemin de ronde : on peut voir les ouvertures qui grâce à un vasistas en verre cannelée laissent entrer un peu de lumière dans les cellules qui font 3,60m de long,  1,95m  de large et 2,85m en hauteur. Victor Hugo a dit de ces fenêtres : « elles font loucher le ciel ».

Plus de cachot sans air et sans lumière

Plus de culs de basses fosses où les prisonniers marinent dans de l’eau nauséabonde. Voici la première maison d’arrêt cellulaire française ressemblant par sa forme à un éventail selon Victor Hugo. Le modèle cellulaire nous vient de Philadelphie. Six galeries (12,50 x3,50m) convergent vers un minaret central où se trouvent les gardiens. Le bâtiment central de 45 mètres de haut est sous une rotonde vitrée.

 

Même les parloirs sont cellulaires.

Même les parloirs sont cellulaires.

De jour comme de nuit le pensionnaire est isolé, sans contact avec les autres prévenus. Il prend ses repas dans sa cellule. Il y est occupé à des travaux pour des sociétés qui ainsi participent au financement de la prison (travaux d’écriture, papeterie, plumes, trie de grains et légumes secs, cartes de boutons, d’agrafes). Les condamnés décortiquent le Corozo, ivoire végétal utilisé dans la marqueterie.

Ses célèbres prisonniers

Mazas le 9 octobre 1869, le photographe Jules Verrier réalise le premier portrait d’un criminel. L’homme défraie la chronique, il a commis l’abominable crime dit de Pantin (une mère et ses 6 enfants, ont été tués et enterrés) : Jean-Baptiste Troppmann. (Les grands procès de l’Histoire, Emmanuel Pierrat)

Jean-François Troppmann photographié à Mazas en costume de ville le 9 octobre 1869 par Jules Verrier. Il a été installé devant un des murs en meulière. Il est logé au rez-de-chaussée dans une cellule double 4-6 afin que le gardien puisse être avec lui en permanence. Son procès débutera le 26 décembre. Il sera guillotiné le 19 janvier 1870.

Jean-François Troppmann photographié à Mazas en costume le 9 octobre 1869 par Jules Verrier.  Il occupera au rez-de-chaussée la cellule double 4-6, un  gardien la partage. Son procès débutera le 26 décembre. Il sera guillotiné le 19 janvier 1870.

L’identité judiciaire balbutie du côté de la photographie et ce cliché est considéré comme le tout premier. Bientôt tous les prévenus seront photographiés.  Le prévenu occupe, la cellule 4-6 dans la division 6 ; une des cellules doubles réservées aux criminels, aux dangereux et aux attentats à la pudeur. Un gardien est placé avec le prévenu pour éviter tout suicide. La cellule reste éclairée en permanence.

Gardien et prisonnier en tenues. A leur arrivée les prisonniers une fois lavés endosse leur tenue et prenne la plaque qui porte le numéro qui leur est attribué. Il devra les accompagner dans tous leurs déplacements qu'il s'agisse de promenade, de visite où de déplacement au Palais de Justice.

Gardien et prisonnier en tenues. A leur arrivée les prisonniers une fois lavés endossent leur tenue et prennent une plaque qui porte le numéro qui devient leur carte d’identité. Il devra les accompagner dans tous leurs déplacements qu’il s’agisse de promenade, de visite où de déplacement au Palais de Justice.

La prison va recevoir des délinquants en « préventive » (en argot des prisons : prévente) en attente de jugement, des condamnés à de courtes peines, mais aussi des « délits d’opinion », des « complots contre la sureté de l’Etat » qui seront au secret. Ainsi, dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, 220 députés susceptibles de s’opposer au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte seront conduit à Vincennes ou emprisonnés « A Mazas, un greffier les enregistra, les mesura, les toisa et les écroua comme des forçats. » (Victor Hugo : Histoire d’un crime, 1877)

1862, Clémenceau y fera 73 jours pour avoir dans son hebdomadaire « Le travail » lancé un appel à manifester place de la Bastille pour la commémoration de la Révolution du 24 février 1848.

Le journaliste Henri Rochefort à Mazas en 1871 portrait d'Armand Gautier, conservé au Musee d'Art et d'Histoire, Saint-Denis, France

Le journaliste Henri Rochefort à Mazas en 1871. Ce portrait d’Armand Gautier donne une idée de l’équipement d’une cellule.  Sur une planche était roulé le hamac avec son matelas. (toile conservé au Musee d’Art et d’Histoire, Saint-Denis, France)

1870, à la veille du plébiscite du 8 mai 1870, 38 militants de l’Internationale sont enfermés. Fin août, Arthur Rimbaud venu à Paris voyage avec un billet non valide et sans argent. Il est arrêté à son arrivée gare du Nord et conduit à Mazas d’où l’en sortira quelques jours plus tard Georges Izambard. 1871, Pendant la Commune de Paris, les fédérés s’y réfugient, le serrurier Maurice Garreau en devient le directeur. Les fédérés y emprisonnent des religieux notamment Mgr Darboy archevêque de Paris qu’ils voudront échanger sans succès contre Blanqui emprisonné en Bretagne. Le 22 mai, 50 otages seront transférés à La Roquette et le 24 mai l’archevêque et d’autres religieux y seront fusillés. Le journaliste Henri Rochefort sera arrêté après la Commune.

Fénéon, lors de la promenade à Mazas par Maximilien Luce

Félix Fénéon, lors de la promenade à Mazas par Maximilien Luce.

1894, Le procès des trente, dit des lois scélérates de 1893 et 1894 promulguées pour lutter contre les Anarchistes, débute le 6 août (le 11 mars 1892, l’attentat de Ravachol ; le 9 décembre 1993, attentat d’Auguste Vaillant à l’Assemblée nationale ; le 24 juin 1894 assassinat du président Sadi Carnot) sur les bancs des accusés 26 inculpés dont Félix Fénéon ami de Zo d’Axa défendu par Edgar Demange qui bientôt défendra Dreyfus. Ils sont accusés « d’association de malfaiteurs ». Son ami Maximilien Luce collaborateur du « Père peinard », journal anarchiste interdit en juillet 1894, a été arrêté le 6 juillet et ne sera pas jugé avec eux. Il sera relâché le 17 août.

1898, les prisonniers sont transférés dans la nouvelle prison de Fresnes. La destruction est programmée.

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documentation : Les Nautes de Paris

à suivre la vidéo : Prisons disparues, première chronique : Mazas
prochaine chronique : la prison de La Force

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